Écrire à propos de la nuit

par | 3 Avr 2022 | ATELIERS DU MERCREDI

La nuit est tombée telle un couperet à six heures pile, comme le rideau d’un spectacle. En une demi-heure l’horizon est passé des flamboyances du couchant à une obscurité opaque, où seules brillent les étoiles, comme des clous d’argent. Le chant des oiseaux après avoir salué la disparition de la lumière, s’est brusquement tu.

A l’horizon la ligne sombre des eucalyptus dessine une frange noire, épaisse. Couchée dans l’herbe haute, j’observe la lune qui se lève, pressée d’encorner le firmament. Au-dessus de moi scintille un ciel inconnu : la Croix du Sud, non loin de l’amas des Pléiades, les « Trois Maries ».

Je contemple au fond de la vallée l’eau du fleuve s’étirer paresseusement le long des berges abruptes et ravinées.  La lune s’y reflète, éclat froid et métallique d’un monde minéral, d’où toute vie a été bannie. Comme je me sens seule dans cette immensité, qui parait sans fin. Les repères de temps et d’espace ont disparu. Où suis-je ? Qui suis-je ? Y a-t-il quelqu’un d’autre au monde ? J’attends fébrilement qu’un bruit se manifeste, un signe de présence, humaine ou animale. En même temps je le redoute. Ami ? Ennemi ? Rassurant ? Inquiétant ? Le temps n’a plus de mesure, l’instant s’étire.

Soudain une ombre furtive passe devant mes yeux, un frôlement agite mes cheveux. Ce sont les chauves-souris qui s’éveillent dans la grotte voisine. Puis un léger vrombissement vient troubler ma sérénité : à la démangeaison ressentie, je reconnais le moustique attiré par ma peau d’Européenne.

Bientôt, en contrebas de la cordillère, les lumières intermittentes de la ville déchirent la brume.  Sur les contreforts proches, celles du quartier s’animent peu à peu dans l’obscurité. Une odeur familière vient chatouiller mes narines. Un fumet de grillade et de bouillon monte des maisons dissimulées. On entend des rires fuser, une porte claquer, des conversations s’ébaucher. Des jeunes en bande s’interpellent d’une rue à l’autre. Un enfant pleure, un chien aboie. Un coq dévarié chante à tue-tête.

Je m’arrache à la magie du moment. Il est temps de regagner la maison. Le dîner m’attend.

 

 

 

Violaine