Henry

Henry ouvre la porte de son salon. Il est à Carouge et a décidé tout soudain de se faire couper les cheveux. Ce matin, installé à son bureau, il a croisé le regard de sa collaboratrice et y a décelé un « je ne sais quoi » qui le décide, maintenat à ouvrir la porte du salon.

– Bonjour. Je souhaite me faire couper les cheveux. Est-ce possible maintenant ? demande-t-il de sa voix grave d’homme enroué qu’il est depuis deux jours.

– Bien sûr, répond Annabelle, une pimpante coiffeuse au regard franc, à la bouche souriante, fraîche. Avec ces cheveux auburn, son dynamisme, sa taille élancée et mince, elle intimide Henry qui la trouve belle, belle. Sa beauté et sa fraîcheur lui donnent du courage. Il n’a pas l’habitude de se laisser soigner et encore moins coiffer par une inconnue. C’est toujours sa mère qui lui coupe les cheveux.

– Que voulez-vous comme coupe ? lui lance Annabelle.

– Hmm… et bien, je ne sais pas trop… un truc qui se remarque et plaise au bureau… un peu plus net ?

« Je comprends ce qu’il veut dire, pense-t-elle, parce que là, c’est du n’importe quoi. Vous êtes pas mal, c’est dommage ».

Henry sourit un peu gêné et le rose lui monte aux joues.

Annabelle lui propose de passer au bac et lui lave la tignasse. Il ferme les yeux. Des frissons le parcourent. Il a oublié combien ce pouvait être agréable de se faire laver les cheveu.

À nouveau face au miroir, il regarde Annabelle qui empoigne les ciseaux, le peigne et le rasoir. Sans ambages, elle se lance dans une coupe effrénée en parlant de la météo, des nouvelles. Elle se montre distraite tout en s’activant. Voyant tomber un peu trop de cheveux au sol, Henry s’inquiète, puis s’angoisse. Elle ne voit rien, si bien qu’il finit par lui dire :

– Hey ! Vous ne coupez pas un peu trop ?

Elle, confuse :

– Ooups ! mince… mais heu… non… attendez, il faut juste que j’égalise !

En effet, Henry était affublé d’une coupe plutôt asymétrique, voire carrément ratée. Il se met à suer.

« Mais qu’est-ce qui m’a pris, de faire confiance à cette bimbo ? »

Néanmoins, il patiente et voit maintenant Annabelle affairée, hyper concentrée. Il ferme presque les yeux pour échapper au massacre. Alors qu’il essayait d’imaginer ce qu’il allait pouvoir dire à ses collègues de bureau pour arrêter les sarcasmes, il entend Annabelle :

– Ouf ! J’ai bien rattrapé le coup !

À ces mots, il se permet de mirer son reflet. Se surprenant à se chercher dans le miroir, il resta figé sur son siège, abasourdi.

« Mais qui est ce type ? » se dit-il.

Comment allait-il faire coller cette image à ce qu’il savait de lui ?

Le visage se reflétant désormais dans le miroir était celui d’un homme au crâne rasé avec on ne sait quel motif improbable émergeant de tous les petits poils restants. Sans que l’on puisse nommer un tel motif, une boule ou plutôt un œuf de Pâques. Ses collègues parleront d’un extrémiste affichant des idées et son idéologie. Qu’allait-il bien pouvoir dire ou faire d’une simple visite chez le coiffeur qui allait changer sa vie ? Chambouler les deux prochains mois à venir en tout cas ? Il hurla son mécontentement à la « coiffeuse bimbo », qui, empruntée, le flatta. Elle lui assura qu’il ressemblait à l’acteur « The Rock » ! Henry l’insulta et exigea qu’elle remédie sur-le-champ à cette situation rocambolesque. La jolie coiffeuse réfléchit un instant et lui apporta une perruque. Elle l’ajusta sur sa tête et lui sourit de toutes ses belles dents tout en continuant à le flatter.

Henry se regarda dans le miroir, stupéfait de ce qu’il découvrit. À nouveau, tout s’agitait en lui. Avec un large sourire, il embrassa la coiffeuse et partit en chantant, ravi de sa nouvelle tête.

 

Texte de Béatrice M., Patricia S., Prisca F. écrit lors de l’atelier « On ne va pas les couper en 4 » du 13 janvier 2019.